angelomorphic.jpgEn 1990, la société Watchtower a produit une série d'articles dans sa revue La Tour de Garde, consacrée au "Père de l'Eglise" en rapport avec la Trinité. Son but: démontrer que les Pères de l'Eglise, c'est à dire les chrétiens des trois premiers siècles, avant le concile de Nicée, ne croyaient pas en la Trinité. On retrouvera plus tard dans la brochure "Dois-t-on croire à la Trinité", le même plan que ces articles de manière condensé.

Cette base a éveillé des vocations comme celle d'Edgar G. Foster, "théologien" Témoin de Jéhovah, qui tente comme plusieurs de ses co-religionnaires, qui sont plutôt rares dans les milieux intellectuels, de prouver les doctrines de son mouvement de manière académique et universitaire.

Si vous allez faire un tour sur JWFacts qui dresse une liste des citations tronquées produites par les rédacteurs du mouvement, vous noterez le haut niveau de la brochure jéhoviste. Par exemple un auteur, le professeur E. Washburn Hopkins bien qu'affirmant que la doctrine de la Trinité était inconnue de Paul et Jésus, ce qui va dans le sens de la vision des Témoins sur le sujet, affirme aussi dans la même phrase que cette doctrine commence en 100 de notre ère avec l'apôtre Jean, donc dans la Bible, cette dernière affirmation contredisant la doctrine du mouvement qui voit l'apparition de cette doctrine au moins au IVème siècle, en clair 200 années après, n'est tout simplement pas citée contrairement à la première alors qu'il s'agit de la phrase précédente !!!

Permettez-moi maintenant d'introduire le titre de l'ouvrage de monsieur Foster:

"Angelomorphic Christology and the exegesis of Psalms 8:5 in Tertullian ''Adversus Praxean'' - An examination of Tertullian's reluctance to attribute angelic properties to the son of God"

En français cela donne:

"La christologie angélomorphique et l'exégèse de Psaumes 8:5 dans le livre de Tertullien Adversus Praxean - Un examen des scrupules de Tertullien d'attribuer des caractéristiques angéliques au Fils de Dieu"... Ouf !!!

Vous l'avez compris le sujet est très précis voire ultra-limité. Il est question du père de l'Eglise Tertullien, qui a vécu à Carthage en Afrique au IIème siècle de notre ère. Si on se rapproche du sujet concentriquement, il s'agit d'un seul de ses livres Adversus Praxean, et dans ce livre une interprétation particulière d'un passage de l'ancien testament: Psaumes 8:5. Pour Foster, c'est la clef de son livre. Néanmoins, il faut prendre conscience que le livre de Tertullien a comme sous-titre "Sur la Trinité" et que ce père de l'Eglise est reconnu pour avoir été le premier a utilisé le mot en question, l'enjeu est de taille donc pour un Témoin de Jéhovah, si on se rendait compte que dès 180 de notre ère, une doctrine de la Trinité est déjà établie et non en 325 de notre ère.

D'ailleurs si on cite bien avant d'examiner la théorie de monsieur Foster un passage du texte de Tertullien il est difficile de ne pas y voir une définition assez élaborée de la Trinité:

"en gardant néanmoins le sacrement de l'économie qui divise l'Unité en Trinité, où nous distinguons trois personnes, le Père, le Fils et l'Esprit saint. Ils sont trois, non pas en essence, mais en degré; non pas en substance, mais en forme; non pas en puissance, mais en espèce; tous trois ayant une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même puissance, parce qu'il n'y a qu'un seul Dieu duquel procèdent ces degrés, ces formes et ces espèces, sous le nom de Père, de Fils et de Saint-Esprit." (Chapitre 2)

Foster s'attaque pour sa part au chapitre suivant, le chapitre 3, il part en guerre contre Jean Danielou qui a eu l'outrecuidance de confondre christologie angélique et christologie angélomorphique. La première déclarant que Jésus était un ange, la deuxième que Jésus pouvait prendre la forme d'un ange, sans en être véritablement un. Or il note, et c'est important de le souligner, que Tertullien différencie bien Jésus d'un ange de part sa nature, même si ce dernier a pu en avoir de temps à autre la fonction. (De Carne 14:17-20. Page 7 du livre de monsieur Foster). Page 8, Foster déclarera que "Tertullien ne croyait pas que le Fils était un ange à la manière de Gabriel ou Mickaël".

Citons quelques passages du texte ''De Carne'' Chapitre 14:

"

Jésus-Christ n'a reçu de son Père aucun ordre qui concernât le salut des anges. Ce que le Père n'a ni promis ni ordonné, le Christ n'a pu l'exécuter. __Pourquoi donc aurait-il pris la nature angélique?

__"

"Saris doute, il a été nommé « l'ange du grand conseil, » c'est-à-dire l'ambassadeur de Dieu; mais c'est un titre qui désigne ses fonctions et non sa nature. Car il devait annoncer au monde l'incompréhensible dessein du Père sur la réhabilitation de l'homme. Il ne faut donc pas voir en lui un ange au même titre que Gabriel et Michel."

Ah mais j'oubliais, il est important de vous dire non seulement que les Témoins de Jéhovah ne croient pas en la Trinité, mais qu'en plus ils considèrent que Jésus au ciel est en fait l'archange Michel en personne, bref que Jésus est véritablement un ange, l'ange en chef de la création. Dès lors ce que vient de reconnaître Foster sur Tertullien est dérangeant. En caricaturant, disons que dès 180 de notre ère, Jésus n'est plus un ange ou un archange en tout cas pour Tertullien si ce n'est pour la majorité des chrétiens de l'époque, par la suite Foster va oublier cette affirmation claire.

Foster veut aussi critiquer Daniélou sur le chapitre III du livre Adversus Praxean de Tertullien. Danielou concluerait que les anges n'ont pas la même substance que les trois personnes de la Trinité qui elle seraient co-substancielles:

"Conséquemment, si la monarchie divine est administrée par tant de légions et tant, d'armées d'anges, ainsi qu'il est écrit: «Mille millions le servaient, et dix mille millions étaient devant lui,» sans toutefois avoir cessé d'être le pouvoir d'un seul ni avoir perdu le caractère de la monarchie, parce qu'elle a pour ministres tant de milliers de vertus, quelle absurdité de prétendre que la Divinité va sembler partagée et disséminée dans le Fils et dans l'Esprit saint, qui obtiennent le second et le troisième rang, et d'ailleurs participent à la substance du Père, tandis qu'elle ne souffre ni partage ni dissémination dans cette multitude incommensurable d'anges, qui n'ont rien de commun avec sa substance!"

Il déclare:

"Basant nos pensées sur le langage utilsé en Adv. Praxeas 3.4-10, nous pensons qu'il est approprié de conclure que Tertullien affirme que les innombrables êtres divins (les anges), evidemment existant au cieux en présence de Dieu font vraiment parti de la monarchie divine: Ils servent comme administrateurs éminents du Royaume Divin."

Foster a sûrement raison, reste à savoir ce qu'il veut faire de cette idée, citons la phrase d'avant sa citation de Tertullien pour avoir une vision plus claire de l'argumentation de Tertullien:

"Mais, Latins, ils s'appliquent à prononcer monarchie; Grecs, ils ne veulent pas même comprendre le sens d'économie. Quant à moi, si j'ai recueilli quelque notion des deux langues, la monarchie, à mon sens, ne signifie pas autre chose que le commandement d'un seul. La monarchie, toutefois, n'exige pas impérieusement que, représentation du gouvernement d'un seul, celui auquel appartient le pouvoir n'ait pas de fils, ou devienne à soi-même son propre fils, ou enfin qu'il n'administre pas sa monarchie par qui bon lui semble. Il y a plus, j'affirme qu'aucune domination n'est tellement la domination d'un seul, tellement une domination singulière, tellement monarchie enfin, qu'elle ne soit administrée par d'autres personnes, rapprochées d'elle-même, et dont elle fait ses auxiliaires. Mais si le maître de la monarchie a un fils, la monarchie ne sera point divisée et ne cessera point d'être monarchie, parce qu'il aura associé ce même fils à son pouvoir.Loin de là; elle appartient avant tout à celui qui en délègue une partie à son fils, et en étant à lui, la monarchie possédée par deux personnes si uniques subsiste toujours"

Ce que va tenter de faire Foster, à la suite du constat que les anges font parti de la monarchie divine, c'est d'amalgamer cette participation avec la co-substantialité défendue par Danielou , de mettre sur le même plan, le Fils , le Saint Esprit et les anges, or Tertullien est très clair, la monarchie n'est possédée que par deux entités, le Père et le Fils, (il a même une phrase obscure où il prétend que le père devient son propre fils), les anges sont des auxiliaires qui participent mais ne possèdent pas cette monarchie,, pire Tertullien va jusqu'à dire qu'ils ne possèdent pas la même substance du Père contrairement au Fils et au Saint-Esprit. Difficile de faire plus clair, le Fils n'est pas un ange comme l'a déjà reconnu Foster, et par contre est équivalent au Père en substance.

Foster a compris que l'un des ressorts du problème pour défendre la théologie jéhoviste, se situe dans la déclaration de Tertullien, sur le fait que les anges n'ont pas la même "substance" que le Père. Il note que la phrase en latin "alienorum a substantia patris" qui correspond à "qui n'ont rien de commun avec sa substance" ou "étranger à sa substance" est peut-être une lecture corrompue, néanmoins il ne précise pas alors comment lire le passage, car la corruption possible ne semble toucher que "alienorum" (étranger) et non la totalité de la phrase donc que fait-on de "substance du Père"?. Il préfère donc supprimer toute la phrase: tertullien aurait précisé que le Fils et le Saint Esprit partagent la substance du Père, et aurait à défaut de dire qu'ils sont différents, oublié de le dire pour les anges. C'est un peu court.

Pour renforcer cet argument, il affirme que les anges dans ce passage sont en fait "des fils spirituels" de Dieu et précise dans la note chargée de prouver cette affirmation (54 Page 11), que dans ''De Idolatria'' 9, "Tertullien identifie les "fils de Dieu" de Genèse 6 aux "anges". Bien sûr le texte de Tertullien n'applique ni ne reproduit le terme "fils de Dieu" aux anges désobéissants du Déluge comme la citation de ce passage le démontre:

"Je soutiens une seule chose: ce sont les anges rebelles à Dieu et livrés à l'amour des femmes qui ont inventé ces vaines sciences; voilà pourquoi ils ont été condamnés par Dieu"

Il voit aussi dans l'utilisation du terme "pignora" une connexion familiale, se basant encore en note sur une citation de E. Evans, un traducteur de Tertullien en anglais, qui déclare que "pignora" peut se rapporter aux 'fils de l'Empereur". Pour Foster, cette idée est suffisante pour déclarer qu"il s'agit d'un autre point indiquant que Tertullien croit que les anges ont la possibilité de partager la substance du Père et font vraiment parti de sa monarchie, car ils sont Ses fils."

"pignora" n'est pas forcément limité au sens familial proche, et même si Tertullien l'utilisait dans ce passage en ce sens, encore faudrait-il que son image de "famille" ait un rapport avec le fait que les anges partageraient leur substance avec Dieu. En dehors de cette évocation ténue, nulle part dans l'oeuvre de Tertullien, Foster ne peut trouver une démonstration même indirecte. Il s'agirait d'un argument par le silence si les textes cités du début ou de la fin de cet article démontrent clairement que pour Tertullien, il y a une nature ou une substance angélique, et une nature ou substance divine.

Enfin Foster introduit l'objet de son livre: Sa découverte que dans plusieurs citations du verset des Psaumes Chapitre 8 verset 5, Tertullien affirme que le Fils de Dieu a été inférieur aux anges avant de venir sur terre, et non lors de son seul passage sur terre. Devant gouverner la création, Jésus a été rendu inférieur aux anges pour pouvoir être en contact ou agir avec celle-ci. Ainsi la boucle est bouclée, le fils de Dieu, au ciel n'était pas défini comme ange pour Tertullien, parce qu'il leur était inférieur, non pas parce que les anges ne partagaient pas la même substance que Dieu contrairement au Fils. Foster peut donc continuer à croire que pour Tertullien Jésus est un "dieu crée" comme il le dit sans sa conclusion, et comme nous venons de le voir que les anges sont quasi-similaires à Jésus donc que Jésus est un archange. Bien sûr les citations directes de Tertullien reproduites ici, amènent à se demander comment Foster peut rêver éveiller.

Nous verrons donc dans un prochain message en quoi sa conclusion relève; si néanmoins je n'ai pas la force de continuer cette critique du livre de monsieur Foster, je vous laisse avec une des réponses de Tertullien (De Carne Chapitre III:) qui illustrera mes propos précédent sur la différence de nature entre Dieu (Père, FIls et Saint Esprit) et les anges.

« Mais, répliques-tu, je nie que Dieu ait jamais été changé en homme jusqu'à naître et prendre un corps, parce que l'être sans fin est nécessairement immuable aussi: se changer en être nouveau, c'est détruire le premier. Donc l'être qui ne peut finir est incapable de changement. »

Sans doute, la nature des êtres soumis au changement est assujettie à cette loi; ils ne demeurent point dans ce qui se change en eux; et comme ils n'y demeurent pas, ils périssent, en perdant par ce changement ce qu'ils étaient avant lui. Mais rien ne ressemble à Dieu: sa nature diffère de la condition de tentes les choses humaines. Si donc les choses qui diffèrent de Dieu et dont Dieu diffère, perdent par ce changement ce qu'elles étaient avant lui, quelle sera la différence entre la Divinité et les créatures, sinon de posséder la faculté contraire, c'est-à-dire, que Dieu puisse se changer en toutes choses, et demeurer tel qu'il est? Autrement, il ressemblera à toutes les créatures, qui perdent par le changement ce qu'elles étaient d'abord: Dieu ne leur est pas supérieur en toutes choses, s'il ne leur est pas supérieur aussi dans le mode de ce changement.

Tu as lu autrefois, tu as même cru que les anges du Créateur ont revêtu la forme humaine, portant un corps si réel, qu'Abraham lava leurs pieds; que leurs mains arrachèrent Loth à la violence des habitants de Sodome; que l'ange lutta contre l'homme, et que pressé entre les bras de celui-ci de tout le poids de son corps, il demanda d'être délivré. Quoi donc? Si par une permission de Dieu, des anges d'une nature inférieure à la sienne ont pu demeurer anges sous un corps d'homme, refuseras-tu cette faculté à Dieu, qui est bien plus puissant que les anges, comme si le Christ n'avait pu demeurer Dieu, en révélant réellement notre humanité?

Tertullien ici explique à son interlocuteur qui refuse l'incarnation de Jésus, qu'il prend tout comme Tertullien pour Dieu, que Dieu ne se détruit pas de sa nature divine en devenant homme, bien que cette position soit très inférieure à la nature de Dieu, il reste Dieu. Ainsi et c'est l'explication la plus probable au paradoxe de l'interprétation de Psaumes 8:5 par Tertullien, Jésus a pu être inférieur aux anges, sur terre et au ciel tout en restant pleinement Dieu, car la nature de Dieu lui permet de s'abaisser tout en restant Dieu.

On peut critiquer la logique de Tertullien, on ne peut par contre pas la trahir. Ainsi si Jésus a pu être dans une condition de "sous-ange" durant la période entre la création et son incarnation, pour Tertullien il n'a jamais perdu sa Divinité qui n'avait rien avoir avec celle d'un "dieu créé" (page 82 du livre de Foster) mais plutôt "engendré", (la raison ou "logos" de Dieu qui a toujours existé en lui avant d'être engendrer). Dans le même temps, les anges sont bien différenciés de Dieu et de Jésus, ils ne possèdent pas la même nature voire substance qu'eux, quand les trois qui forment la Trinité la partagent. Ils ne sont pas des "fils de Dieu" pour Tertullien.